Des êtres de plâtre, parfois ailés, la peau labourée par les mains de l’artiste en sillons profonds pour les charpenter. Le Québécois David Altmejd a regroupé cette série de personnages sous le vocable de Bodybuilders, littéralement « ceux qui construisent leur corps ». Difficile de ne pas voir dans ces statues un autoportrait. Car voilà maintenant plus de quinze ans que ce sculpteur revendiqué sonde, secoue, ravive le genre dédaigné par l’art contemporain depuis l’avènement de l’installation. En témoigne la rétrospective que lui consacre le musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Riche d’une soixantaine de pièces, « David Altmejd, flux » dévoile un univers fantasmagorique immédiatement identifiable où la vie et la mort s’entremêlent. S’y côtoient des géants aux allures de loup-garou, des hommes à tête d’oiseau, des animaux empaillés, des insectes ou des fruits en résine, dans un entrelacs de miroirs, de breloques, de fils de soie, de cristaux et de chaînes en or.
Tout est allé très vite pour Altmejd, 40 ans cette année. D’abord étudiant en biologie, il est vite rattrapé par son amour pour la peinture. Il opte pourtant pour la sculpture. « J’ai réalisé ma première pièce à l’occasion d’un cours obligatoire de première année, se souvient-il. J’avais soudain un objet qui n’existait pas sur une toile ou dans un film, mais dans l’espace même où je me trouvais. Il avait donc autant de force qu’un corps, qu’une personne. J’ai alors choisi cette voie-là. »
Cette force irradie ses géants. Parmi ces personnages gigantesques, certains sont transpercés de pics miroitants, tel saint Sébastien, insensibles à la douleur. D’autres ont le visage et le corps rongés par la mort. Le mur de glace qui leur fait face donne aux visiteurs une idée vertigineuse de leur échelle.
« Le plexiglas m’a permis de faire flotter des chaînes en or dans l’espace »
Tout aussi fascinant est le rapport d’Altmejd à la matière. De sculpture en sculpture, de nouveaux éléments viennent enrichir son travail, le complexifient. « J’ai commencé à utiliser le miroir pour permettre aux spectateurs de voir une partie de l’objet qui n’était pas directement visible, m’en servant comme d’un périscope. Le plexiglas m’a permis de faire flotter des chaînes en or dans l’espace », explique l’artiste, dont chaque oeuvre semble avoir été conçue pour nourrir la suivante. Jusqu’à la dernière, gigantesque boîte en Plexiglas où évoluent bodybuilders et autres personnages dévorés de l’intérieur, veillés par des animaux, des insectes. A chacun ensuite de composer sa propre histoire.